Carrière d’un visionnaire

L’innovateur entrepreneur et scientifique Raphael Schlup évoque son parcours depuis ses études ES jusqu’à son doctorat, et repense à ses sept années de jalons personnels et professionnels : création de son entreprise, développement continu indispensable, et importance de toujours trouver des solutions innovantes.
Entretien avec Raphael Schlup*, par Jsabelle Tschanen
Il y a sept ans, l’ODEC avait déjà eu le plaisir de s’entretenir avec vous (cf. interview en allemand, Bulletin 2-2017). Quelles ont été vos principales étapes depuis lors?
Au printemps 2024, j’ai terminé mon doctorat à l’International School of Management (ISM) à Paris. En 2019, j’ai créé une deuxième entreprise, la société coscomp (www.coscomp.com) dans laquelle nous développons des méthodes et des solutions innovantes dans le domaine de la «Value and Cost Engineering (VCE)». Nous avons continué à développer le «Framework VCE» pendant ma thèse, et l’avons testé et utilisé dans différentes entreprises. De plus, ma seconde fille a vu le jour.
Pourquoi avez-vous décidé d’obtenir un doctorat à Paris plutôt que dans une université en Suisse ?
Il ne m’était financièrement pas possible de suivre quatre années d’études à plein-temps dans une université en Suisse. D’une part, j’avais déjà une petite famille et d’autre part, je ne voulais pas sacrifier mon actuelle carrière professionnelle pour des études à plein-temps et donc subir des privations financières. De plus, un parcours doctoral en cours d’emploi n’est actuellement pas (encore) possible en Suisse. Un autre obstacle était l’absence d’un diplôme de master consécutif, et le fait que le diplôme ES ne constitue pas un diplôme de bachelor officiel en Suisse.
Notre titre associatif «Professional Bachelor ODEC» vous a-t-il aidé à être admis dans cette voie doctorale ?
Ce titre associatif m’a énormément aidé à l’étranger à présenter de manière transparente et claire mes formations initiales et continues. Sans lui, il ne m’aurait pas été possible de postuler pour un doctorat à l’ISM International School of Management à Paris. Le bachelor n’a jamais été un thème, mais avoir suivi un EMBA à l’Université du Liechtenstein a été un avantage, car cela m’a permis d’approfondir le travail scientifique structuré, ce qui a constitué un atout majeur pour le doctorat.
En quoi consiste exactement votre activité professionnelle actuelle, et quels sont les défis qui y sont liés ?
Actuellement, je travaille comme chef de projet VCE dans différentes entreprises industrielles de l’espace DACH. Notre «Team coscompVCE» soutient les équipes de développement les plus diverses dans leur processus de développement de produits ou de systèmes innovants et complexes. Notre tâche consiste à définir avec la direction les coûts-cibles réalisables et à les garder à l’esprit tout au long du processus de développement du produit. Ceci toujours dans le but d’atteindre pour le futur client ou utilisateur des coûts de production aussi bas que possible et une valeur élevée du produit. Nous avons développé ces dernières années chez coscomp la méthodologie VCE correspondante, resp. ce que l’on appelle le «Framework VCE», et l’avons testée de manière scientifiquement fondée par le biais de ma thèse de doctorat.
Votre EMBA et votre doctorat ont-ils eu une influence sur vos activités entrepreneuriales ?
Mon EMBA a eu une influence déterminante sur mes activités entrepreneuriales, car c’est grâce à lui que j’ai vraiment découvert le thème de l’entrepreneuriat ou, en anglais, «Entrepreneurship». Le rêve de créer moi-même une entreprise et de résoudre des problèmes pratiques est devenu de plus en plus fort pendant ces études. La possibilité de développer un système de direction électromécanique innovant avec une équipe chez ThyssenKrupp Presta au Liechtenstein y a également contribué. Nous devions atteindre des objectifs de coûts clairs, réaliser le développement avec une qualité prédéfinie et le mettre sur le marché en l’espace de deux ans. A cette époque, aucun groupe automobile européen ne voulait acheter nos systèmes de direction électromécaniques, car nous n’avions encore aucun client européen comme référence. Nous nous sommes donc tourner vers d’autres marchés et d’autres clients en Chine et en Inde avec nos systèmes, et les y avons vendus avec succès. Durant cette phase, nous avons dû faire preuve de beaucoup d’esprit d’entreprise et de créativité, et maintenir les coûts de développement et de production à un niveau bas. C’est à partir de cette situation que j’ai commencé à développer différentes approches d’ingénierie de la valeur et des coûts (VCE), et que j’ai fondé coscomp avec mon partenaire commercial. Grâce à mon doctorat, j’ai pu approfondir le thème de l’innovation et de l’entrepreneuriat, et finalement rédiger ma thèse sur le thème de la VCE.
Lors de notre interview en 2017, vous qualifiiez vos études ES d’étape importante. Peut-elle être optimisée ?
Les études ES ont certes été une première étape très importante après mon apprentissage de polymécanicien, et je ne peux que les recommander vivement à tous ceux qui terminent un apprentissage. Une formation en Ecole supérieure en Suisse offre une formation axée sur la pratique, étroitement liée aux exigences du marché du travail, et qui permet d’accéder directement à des domaines professionnels à responsabilité. Les étudiants y bénéficient ainsi d’une combinaison de connaissances théoriques et d’expérience pratique, ainsi que de la possibilité d’étudier en cours d’emploi.
D’après mon expérience, j’optimiserais ces études de telle façon que le travail scientifique soit traité de manière beaucoup plus approfondie dans un contexte axé sur la pratique. Ce qui se fait encore trop peu actuellement. Un lien avec la recherche orientée pratique, comme par exemple la «Design Science Research (DSR)» qui vise à résoudre des problèmes orientés pratique, serait destiné aux étudiants d’une haute école spécialisée. L’avantage de la DSR, par exemple, réside dans le fait que le développement et l’évaluation d’artefacts (concepts, «Frameworks» ou méthodes) permettent de créer des solutions concrètes à des problèmes réels, qui offrent à la fois une pertinence pratique et une valeur ajoutée scientifique. Elle relie théorie et pratique en produisant des approches innovantes tout en générant systématiquement de nouvelles connaissances.
Des études avec une part intégrée de recherche ne correspondent-elles pas plutôt à une formation en haute école spécialisée (HES) ?
Ce qui m’interpelle ici, c’est surtout la grande expérience pratique que les étudiants ES apportent avec eux et le potentiel d’innovation qui y est lié et qui n’est pas assez pris en compte. Si l’on combine l’expérience pratique avec, par exemple, l’approche de la DSR, des solutions très pertinentes à des problèmes réels peuvent voir le jour. Je le constate régulièrement lors de l’encadrement de travaux de diplôme. Les étudiants rencontrent les plus grandes difficultés dans l’application correcte d’une méthodologie scientifique. Si celle-ci était correctement enseignée, il serait possible de développer une multitude de solutions méthodiquement structurées, innovantes et axées pratique, très pertinentes pour les entreprises. Si l’on compare à cet effet les profils des diplômés d’une Ecole supérieure (ES) et d’une haute école spécialisée (HES), la différence réside uniquement dans les approches théoriques et méthodologiques plus fortes suivies dans une HES, ainsi que dans la composante temporelle du travail de recherche. La pertinence de la résolution de problèmes pour une application pratique dans les entreprises devrait donc prévaloir à l’avenir dans les ES, car les étudiants peuvent suivre leurs études en cours d’emploi et donc être considérés eux-mêmes comme des experts. Les étudiants qui suivent des études à plein-temps dans une HES ou à l’université manquent tout simplement d’expérience pratique.
Comment avez-vous finalement acquis la méthodologie de recherche ?
Les bases de la méthodologie de recherche et du travail scientifique m’ont été transmises de manière très intensive pendant mon EMBA. La méthodologie de recherche spécifique de la DSR m’a ensuite été recommandée de manière ciblée par mon directeur de thèse à l’ISM. Toutefois, à cette époque-là, je ne m’étais pas encore penché de manière aussi intensive sur cette méthodologie orientée pratique que je ne l’ai fait dans le cadre de ma thèse. De plus, l’accent était alors davantage mis sur la méthode de «Design Thinking» en tant qu’approche de résolution de problèmes créative et centrée sur l’utilisateur, qui combine l’empathie, la génération d’idées et le prototypage dans des étapes itératives afin de développer des solutions innovantes.
Vous enseignez à la MBSZ (Marketing & Business School Zurich) et à la HSO (ES en économie d’entreprise et informatique) et vous avez été sollicité par des universités et des hautes écoles spécialisées suisses et internationales pour enseigner. Qu’est-ce qui fait que vous êtes si convoité ?
Je dirais que mon expertise pédagogique repose sur une combinaison de formation scientifique solide, d’expérience pratique et de compétences didactiques. J’essaie de mettre en œuvre un style d’enseignement pratique et interactif et de rendre des contenus complexes tangibles et applicables. De même, je dirais que je sais associer la théorie scientifique à des problèmes ou des défis réels, ce qui est particulièrement précieux pour les étudiants orientés pratique. En outre, j’essaie toujours de considérer les étudiants comme des «parties prenantes» et de laisser ainsi une impression durable et positive. Il est certainement aussi utile d’utiliser ou d’essayer régulièrement des méthodes d’enseignement innovantes et de faire ainsi évoluer le style d’enseignement et de le rendre créatif.
Serait-ce une option pour vous de transmettre davantage vos connaissances à l’avenir ?
Oui bien sûr, et j’y réfléchis sérieusement mais pour l’instant, je n’ai pas «encore» le temps de poursuivre cette idée. En ce moment, je travaille intensivement au développement de la méthodologie et «Framework VCE» avec deux entreprises industrielles de l’espace DACH. Il serait utile qu’à l’avenir, les Ecoles supérieures manifestent un intérêt à long terme ou s’efforcent de poursuivre ce thème. Je suis tout à fait disponible pour échanger sur ce thème.
Depuis sept ans, vous vous engagez auprès du Comité central de l’ODEC pour le renforcement du niveau ES. Quels ont été les succès obtenus durant cette période ?
L’ODEC a obtenu des succès importants au cours des sept dernières années. Les statuts ont été modernisés (2022) afin que l’ODEC affronte sereinement l’avenir. Pour améliorer la communication, la présence dans les médias sociaux a été renforcée. De plus, l’ODEC s’engage activement dans le groupe d’accompagnement du SEFRI pour le positionnement des ES, et assure un flux d’informations continu vers les décideurs politiques. Cela m’a personnellement tenu à cœur depuis mon entrée au Comité. Au cours des sept dernières années, l’ODEC a renforcé de manière décisive la reconnaissance des diplômes ES au niveau national et international, par exemple en faisant mieux connaître le titre de «Professional Bachelor ODEC». Celui-ci m’avait d’ailleurs permis à l’époque d’étudier à l’étranger. De plus, l’ODEC encourage le soutien politique, la comparabilité internationale afin d’améliorer durablement la position des diplômés ES en Suisse et à l’étranger.
Comment conciliez-vous votre famille, vos études, votre entreprise, votre activité de formateur et votre engagement à l’ODEC? D’où tirez-vous motivation et force ?
Il n’est pas toujours aisé de tout concilier, et ma femme ainsi que mes deux filles me soutiennent beaucoup. Il en va de même pour mon entourage dans mon quotidien professionnel. Et mon ami de longue date et partenaire commercial est un pilier important. Malgré tout, il y a toujours des compromis à faire en famille ou en équipe pour atteindre certains objectifs, c’est ce que j’ai appris de mon expérience dans le sport de compétition : on ne peut y arriver seul, il y a toujours une équipe derrière chaque succès ou une figure de leader forte. Ces soi-disant sacrifices passent souvent inaperçus. Pour moi, ce n’est pas évident que ma famille fasse ces sacrifices, et je suis donc d’autant plus heureux et fier de pouvoir compter sur ma petite équipe, même si je ne suis pas toujours très facile (rires). Malgré tout, il est important de garder l’équilibre et de savoir dire non de temps en temps, de faire des pauses ou de fixer des priorités, ce qui n’est pas toujours facile pour moi.
Quant à ma force et ma motivation, je les puise dans ma passion pour le savoir, l’innovation, l’esprit d’entreprise, et la possibilité d’inspirer et de faire évoluer les gens.
Que vous souhaitez-vous à l’avenir ?
Garder le plaisir au travail et avoir plus de temps que 24 heures par jour (rires), car c’est ce qu’il y a de plus précieux au monde. Non, plaisanterie mise à part, l’un des points les plus importants est la santé et de rester en bonne santé, pour moi-même, mais aussi pour ma famille, ainsi que le privilège de pouvoir continuer à m’adonner à ma passion, de réaliser mes propres idées et de résoudre ainsi des problèmes pratiques pour les entreprises qui offrent une valeur ajoutée (Value) claire aux professionnels, aux scientifiques ou aux utilisateurs. Continuer à travailler de manière indépendante à mes thèmes de recherche, inspirer ainsi d’autres personnes, resp. provoquer des changements positifs.
Fiche signalétique
Name: Raphael Schlup
Naissance : 1986
Domicile : Coire
Membre ODEC : depuis 2012
Activité professionnelle actuelle : expert/innovateur en Value & Cost Engineering VCE et cofondateur de coscomp GmbH
Apprentissage : Polymécanicien avec spécialisation «fabrication d’outillage de poinçonnage et en plastique»
Etudes ES : Génie mécanique à l’école professionnelle TEKO à Berne
Formation continue : EMBA in Entrepreneurial Management (Université Liechtenstein), Doctorat en Entrepreneurship and Innovation
Loisirs : voyages avec ma femme et mes deux filles, vélo, hockey, ski et randonnée